C'était ni le matin, ni le soir, C'était le midi avec sa chaleur épouvantable. C'était là que j'avais envie de me reposer dans l'ombre d'un arbre. Mais il n'y avait pas d'arbre où je pourrais être confortablement installée, alors tout de suite, je me dis dans ma tête : "territoire de la jungle". C'était truffé d'arbre, j'allais surement y trouver mon bonheur. J'avais juste besoin d'être au calme, sous un gros arbre où il y aurait de la mousse en-dessous. Même si cet arbre se trouvait inévitablement dans un autre territoire, celui de la jungle. Cela ne m'avait jamais géné -et ne me gênera jamais - d'aller sur le territoire d'un autre clan, je trouve les frontières bien stupides. Elles mettent de la haine et de la colères entre les chats. Alors moi, je fais comme si elles n'existaient pas et je les franchis sans le moindre remords. Pourquoi s'embêter avec les frontières alors qu'avec un petit peu de volonté et de jugeote, elles peuvent ne plus exister pour nous ? Il faisait chaud et je me consumais sur place, au lieu de réfléchir, je devrais plutôt passer tout de suite à l'acte. Doucement, je sortis du camp telle une voleuse. De toute façon, les membres de mon clan devaient être en majorité à la plage, mais ils étaient trop nombreux pour que je daigne les rejoindre. Il devait aussi en avoir à notre belle rivière qui fait la fierté du clan de la Plage mais je préférais utiliser la rivière comme "réserve à gibier". Alors il ne restait plus qu'une chose : les beaux arbres du clan de la Jungle. Ils n'attendaient plus que moi pour profiter de leur ombre ...

Il fallait en profiter avant que le soleil redescende donc, je pressai le pas. J'entendis des cris de joie des chatons et apprenties qui étaient à la rivière que je longeais de loin. Puis, au fur à mesure, je m'éloignai du camp et les cris ne se firent plus entendre. Je revins vers la rivière qui était désormais seule, sans chat à côté, sauf un : moi. J'étais seule et j'entendais le fracassement des vagues contre des rochers, et une brise qui faisait crisser les feuilles. C'était un beau vent d'été mais qui était malheureusement chaud. Puis après une bonne marche près de cette belle rivière au teint clair, je sentis l'odeur du clan de la Jungle. La frontière toute proche était délimité par leur forêt qui se terminait. La forêt, les arbres, l'ombre. Je m'approchai de la frontière quand j'entendis un bruit derrière moi. Un chat de mon clan. Quelle malchance ! Je me retournai en faisant genre de pêcher du poissons dans la rivière. Si près de la frontière, ce n'était pas très crédible. Mais je n'avais que ça sous la patte. Puis je lançai au nouveau venu :

-Beau temps, n'est-ce pas ? Mais il y a moins de poissons à cause de cette chaleur !

Il est tôt, commence à peine à poindre le jour. Les premières lueurs de l'aube poussent les nuages monotones, et déjà le ciel se colore d'une teinte rose mêlée au gris. Quelques étoiles, vestiges de la nuit, scintillent encore. Le temps de contempler ce spectacle et déjà elles n'y sont plus. La brise vient lécher mon visage, murmure léger venant se frayer un chemin à travers le silence des lieux. Je ne suis pas au camp, je ne suis pas en train de dormir ou de simplement me réveiller, je n'suis pas quelqu'un de normal. Cela fait déjà quelques heures que le sommeil m'a perdue et que je marche le long de la Rivière Enchantée, attendant avec hâte le spectacle qui s'offre à ma vue.. L’astre dans le ciel, majestueux, s’élève, dominant l’univers tel un roi tout puissant chassant les ombres de la nuit, ses doutes et ses rêves. Je contemple son reflet dans l'eau limpide de la rivière, qui n'en a pour autant perdu l'intensité de ses couleurs. Oh, c'est si beau ! J'en oublis toujours les beautés pures que peut nous prodiguer la nature. Dés que j'aurai des petits, je me promets de venir leur montrer cette merveille qu'est le lever du soleil. Pour le moment, je ne m'en lasse pas de venir l'admirer seule, dans cet état second qu'est la béatitude.

Quand je me rends enfin compte de la faim qui dévore mes entrailles, le soleil est déjà haut dans le ciel. La nature est  éveillée, les oiseaux piaillent gaiement, la rivière rugit de vitalité. L'endroit grouille déjà de mille proies appétissantes mais je décide d'aller encore un peu plus en amont, c'est là-bas qu'on trouve les mets les plus juteux et les plus faciles à attraper. En effet, on a beau nous avoir appris les bases de la chasse terrestre, je suis bien meilleure dans le milieu marin, ça n'fait aucun doute.

Je suis arrivée.
Mille et une effluves enivrantes me parviennent. Mais il y en a une plus forte que les autres et ce n'est certainement pas du gibier. Un chat. Un apprenti. De mon Clan. Nuage d'Oranger Mais que vient-il faire ici ? Si loin du camp, si près de la frontière, tout seul ?

« Beau temps, n'est-ce pas ? Mais il y a moins de poissons à cause de cette chaleur ! » Joli changement de sujet, j'applaudis. Mais il avait encore quelques progrès à faire, je pouvais voir à l'expression qu'affichait son visage,la peur de s'être fait prendre la main dans le sac ! Néanmoins, je décidais de faire comme si je n'avais rien vu et de jouer à son jeu quelques temps, histoire de m'amuser un peu. « En effet, tellement chaud qu'on aurait presque envie d'aller se reposer sous les arbres du Clan de la Jungle, n'est-ce pas ? »

Tout ça, ça me rappelait une histoire. La fin se finissait par «Adieu, veau, vache, cochon, chèvre, ...» ou un truc comme ça … Là, en voyant Vague Insaisissable, je pensai ça :

Une jeune chatte sortit du camp à la recherche d'ombre. Elle se dit qu'aller sur le territoire de la Jungle sera super au lieu de rester sur son territoire. Ensuite, elle irait dans la forêt, puis elle irait sous un arbre se reposer. Après les heures de pointes, elle irait vers la cascade de la Jungle, puis elle y nagerait un peu dans cette grande étendue d'eau douce à l'ombre avec personne pour la déranger. En pensant à tout ça, elle était bientôt arrivée à la frontière quand elle vit un autre chat s'approcher d'elle. Ne pouvant pas aller sur le territoire de la Jungle, la chatte de la Plage ne pouvait plus que penser à ça : «Adieu, territoire de la Jungle, forêt, grand arbre, cascade, plaisir dans l'eau. Adieu.»

N'ayant pas envie d'arriver à la morale, je chassai cette histoire ,que je venais d'inventer, de ma tête en pensant plutôt à me concentrer sur la pêche. Malheureusement, il faisait chaud et mes seules pensées étaient : «Chaud, buhh fais chaud, chaud, chaud, chaud chaud, arghhh». Je regardai la rivière avec une violente envie d'y plonger. C'était comme si la chaleur m'hypnotisait puis me demandait d'exaucer ses désirs. Je réussi à garder mes esprit en pensant juste que je ne devais pas perdre la face devant Vague Insaisissable, surtout que j'avais donné à l'instant un autre alibi, la pêche, qu'elle allait sûrement vérifier. Puis, elle me lança en s'approchant :

« En effet, tellement chaud qu'on aurait presque envie d'aller se reposer sous les arbres du Clan de la Jungle, n'est-ce pas ? »

Je tressaillis. Comment avait-elle pu deviner ? Pourrais-ce être un hasard ? A sa mine amusée, je compris qu'elle avait tout compris. Bon, c'était sur que ma présente ici ne faisait aucun doute, mais .... Mais j'étais pas encore perdue. Je lançai détendue :

"Oui, si le soleil était plutôt vers le nord, on aurait l'ombre de ceux qui côtoient la frontière ..."

Je baissai les yeux et regardai avec intérêt les petits poissons dans l'eau.

Je la détaillais. Une jolie petite minette avec ses grands yeux émeraudes me faisait face. Je m'en rappellais encore d'elle chatonne, qu'elle avait changé; malgré tout, elle avait gardé cette lueur frivole dans le regard, pleine de gaieté et de secrets ! Je jalousais la liberté qu'elle avait comme apprentie. En tant que lieutenante, on pourrait facilement croire que je sois en droit de faire ce qu'il me chante.. Détrompez-vous, ce poste est lourd en responsabilités ! Plus vous monterez les échelons, plus il vous est obligé de montrer l'exemple.  

« Oui, si le soleil était plutôt vers le nord, on aurait l'ombre de ceux qui côtoient la frontière ...» dit-elle, d'une voix étonnement détendue.

Elle baissa les yeux et je suivis son regard. Un banc de poissons barbotait dans la rivière, à seulement quelques pas d'ici. Une idée me vint alors.

« Ça te dirait une petite pêche ? En plus de ramener du poisson frais au camp -chose qui ferait bien plaisir aux anciens- cela nous permettrait de se rafraîchir un peu. Quand dis-tu ? » dis-je, un franc sourire aux babines.

Tant pis, je laissais passer cette fois-ci, mais si je la revoyais une seconde fois vaquer si près de la frontière, je n'hésiterais pas à lui en parler. Ce n'était pas pour moi mais bien pour elle, il fallait qu'elle sache les risques encourus en allant en territoire « ennemi » et qu'on ne tombait pas toujours sur de gentils minous ouverts, malheureusement ! J'espère qu'elle n'aura pas à l'apprendre par elle-même, même si je sais -ayant été moi-même une jeune chatte avide d'aventures et de risques- à quel point il est difficile de résister à la tentation !

Un petit poisson ... Non. Deux rouges là avec un bleu turquoise comme compagnon de voyage. Ne serais-ce des anguilles que je ne vois là-bas ? Ils suffit de se fondre dans l'eau, de rêver. Comme si on était un poisson. Sans conscience, sans insouciante, ... Juste attraper ses petits plantes vertes comme du planton pour vivre. Faire ce qu'on veut ... Le rêve quoi ! Et bah, pas forcément. Il y a sans cesse des prédateurs cinq fois plus gros et haut que nous qui veulent leurs pertes. Dit comme ça, c'est presque attendrissant. Mais le poisson est vital pour le clan, c'est la vie ... Je me demandais si Vague Insaisissable était plutôt amusée ou exaspérée ... La prochaine fois, trouver un meilleur alibi ...

« Ça te dirait une petite pêche ? En plus de ramener du poisson frais au camp -chose qui ferait bien plaisir aux anciens- cela nous permettrait de se rafraîchir un peu. Quand dis-tu ? »

Elle me surprit. Moi qui pensais aller faire un aller simple chez les anciens avec de la mousse dans une patte et de la bile de souris dedans ... Il fallait que je saisisse ma chance ! Je me demandais pourquoi elle ne s'était pas fâchée, le privilège de la fille d'Etoile de l'Espoir ? De toute façon, je n'avais pas franchie la frontière, il n'y avait rien à me reprocher. Je lui répondis :

"Oui bien sur !"

En fait, elle n'était pas si méchante que ça. Je regardais l'eau avec concentration, je vis un saumon passer entre des cailloux. Je levai la patte doucement pour pas que son ombre transperce les vagues et arrive à l’œil du saumon. Une fois au haut, je baissai ma patte le plus rapidement possible en fauchant l'eau. Je sentis le choc et je vis une forme atterrir un mètre derrière moi. "Attrapé !" Je regardai Vague Insaisissable et lui dit :

"C'est pas mal, hein ?"

Oui,j'étais comme tous les apprentis, je n'aimais pas que les compliments de mes parents et de mon mentor ... J'en quémandais aussi vers les autres chats.