La joie. La peine. Quelle différence ? Une petite, une grande ? Une gigantesque ! Deux sentiments, deux contraires, deux opposés qui presque jamais ne se mêle. Tout comme le bien-être et la douleur. Tout comme la santé et la maladie. Toutes ces choses contraires que l'on croit ne jamais pouvoir mêler au même moment dans sa vie. Et pourtant, quand cela vous tombe dessus, vous ne comprenez pas ce qui vous assaille le plus. Vous ne savez pas si vous devez vous réjouir pour la partie joyeuse de l'histoire ou bien être triste pour la douleur de l'évènement. Qui sait comment réagir dans ce genre de situation ? Qui ? Qui pourrait me l'expliquer ? Me donner son avis sur la chose ? Je l'écouterai attentivement, ne le critiquerait pas. Objecterai peut-être pour y mettre mon grain de sel, ni plus, ni moins. Quelle attitude tenir ? J'aimerais bien le savoir. Jamais je n'aurais cru vivre un tel moment un jour. Je n'aurais jamais dû le voir, l'entendre et pourtant, c'était inévitable. Je ne pouvais pas passer à côté, c'est une certitude.

Je dormais. Je dormais tranquillement dans la pouponnière, tanière attitrée aux chatons et aux Reines. Je ne pouvais faire que cela, dormir. A vrai dire, j'avais passé la matinée à jouer avec Petit Griffon et surtout à faire quelques âneries, mais ça, j'évite de le scander dans toutes les oreilles, si vous voyez ce que je veux dire. Je ne tiens pas à me faire gronder. Mais c'est tellement amusant les bêtises que je n'arrive pas à me retenir et avec mon complice, on est vraiment doué pour cela. Donc pourquoi s'en priver ? Je m'étais donc accordée une petite sieste avant le repas du soir, certainement un petit jeu, une petite histoire et alors je retournerais dans ma tanière pour dormir et le lendemain arriverait sûrement vite. J'étais loin de me douter de la sacrée soirée que j'allais passer. Une soirée horrible, pleine de tristesse et d'amertume, pleine de douleurs effroyables à vous arracher les boyaux.

Je ne sais pas ce qui me réveillai. Ah si, je crois m'en souvenir. Si je me rappelle bien c'est un coup de patte reçu de la part de Petite Otarie. J'avais alors ouvert grands mes deux yeux bleus saphirs et j'avais jeté un regard plein d'interrogation à ma sœur qui dormait visiblement. Comprenant que c'était là un accident dû à un rêve mouvementé, je n'avais pas cherché à me venger de quoi que ce soit. Je m'étais contenté de lui sourire bêtement, alors qu'elle dormait et de sortir de la pouponnière pour me rafraîchir les idées. Dehors, il faisait plutôt bon, une fin de journée plutôt agréable. Les rayons du Soleil réchauffaient encore suffisamment le Camp pour me permettre de me sentir bien à l'extérieur. Toute guillerette, je cherchai un compagnon de jeu du regard. J'avais fini par tomber sur Petit Griffon, il devait être à une longueur ou deux de queue de renard de moi. Il avait les yeux rivés sur quelque chose. Un bref instant, j'adoptai la position que je pensais être celle de chasseur et m'approche furtivement de mon compagnon de jeu. Une fois assez prête, je m'aperçois qu'il regardait avec ostentation le Promontoire. Je me demande bien pourquoi. Ce caillou ne servait qu'aux Assemblées et je n'avais entendu personne prononcer les paroles rituelles pour ce genre de cérémonie. Intriguée par le comportement du petit chaton tigré, je décidai de jeter un coup d'oeil rapide à ce qu'il semblait regarder avec tant d'attention. Mes yeux dévièrent de son corps rayé à la roche grise qu'est le Promontoire. Mes yeux remarquèrent alors une silhouette féline, à première vue, il s'agissait tout bonnement d'Étoile d'Espoir. Mais que faisait-elle là-haut si les paroles rituelles n'avaient pas été prononcées ? Est-ce qu'elle changeait de manière de faire ou est-ce qu'elle était montée là-haut sans aucune raison ? La deuxième possibilité fut vite écartée, je la connaissais trop bien, elle n'était pas de ce genre de Chef à déranger le Clan pour rien. Effectivement, le Clan semblait être assemblé tout entier à ses pieds. Peut-être est-ce que je n'avais tout simplement pas entendu l'appel de la meneuse. Peut-être que je n'avais pas entendu ma mère prononcer les mots invitant les chats à se rassembler au pied du promontoire. Quoi qu'il ne soit, cette situation m'intrigua au même titre qu'elle semblait intriguer Petit Griffon.

En temps normal, les chatons, c'est-à-dire moi, n'avons pas le droit d'assister à ce genre de cérémonie. La preuve en est, les paroles rituelles invitent les chats en âge de chasser, hors un chaton ne le fait pas. Donc, ils ne sont normalement pas admis à ces manifestations de "grands". Je vis Petit Griffon se diriger promptement parmi les rangs des Guerriers et se fourrer dedans pour disparaître totalement. Je décidai de l'imiter. Je passai entre les pattes et les épaules des Guerriers. La plupart ne me remarquaient pas, les seuls qui me virent sont ceux attentifs ou bien dans lesquels je trébuchai accidentellement. J'avais fini par me poser non-loin de Petit Griffon. Je devais être à quelques longueurs de queue de renard du promontoire, deux rangs plus loin que le petit félin tigré. Dommage, on aurait pu papoter de ce qu'on voyait et ressentait si on n'était pas aussi éloigné. Une autre fois peut-être ? En relevant la tête, je pus apercevoir la pointe du promontoire sur laquelle se tenait ma mère. Elle est tellement grandiose. Pourtant, il y avait quelque chose d'étrange dans son regard. Je n'arrivai pas à savoir quoi.

« Je demande à mes ancêtres qu'ils se penchent sur cette apprentie, elle a travaillé dur afin d'apprendre nos lois et elle mérite désormais de rejoindre nos rangs en tant que guerrière à part entière. Nuage de Lumière promets-tu de suivre le code du guerrier et de défendre ton clan, même au péril de ta vie ? »

Je ne voyais rien, mais je devinai que l'Apprentie acquiesce. J'étais drôlement contente pour elle. J'étais suis sûre qu'elle méritait de devenir une Guerrière. La preuve en est, ma mère, qui est son mentor, à décider de faire d'elle une Guerrière. Donc j'étais certaine qu'elle le mérite vraiment. De plus cette jeune chatte était vraiment sympathique avec tout le monde. Pour l'avoir déjà vu quelques fois vadrouiller dans le Camp pour faire ce qu'on lui demandait. Je la voyais aussi parfois dans la pouponnière. Mais là où je la voyais le plus souvent, c'était en compagnie de Nuage d'Hippocampe, mon frère adoptif, envers qui j'avais une dévotion énorme, devant la tanière des Apprentis. On m'avait raconté que ces deux-là couvaient quelque chose. Pour moi, comme pour d'autres, cela se voyait comme le museau au milieu de la figure qu'ils s'aimaient. J'étais si heureuse que mon frère ait trouvé l'amour et cette chatte avait vraiment que des qualités. Je ne lui connaissais aucun défaut et personne ne s'était jamais plaint d'elle, du moins rien de tel n'était parvenu à mon oreille.

« Dans ce cas, par le pouvoir du Clan des Etoiles je te donne ton nouveau nom. A partir de ce jour Nuage de Lumière s'appellera Fleur de Lumière, le clan rend hommage à ton agilité et ta positivité. »

Dans la voix de ma mère, je sentis une profonde émotion. Elle semblait réellement heureuse pour son Apprentie, devenue maintenant Guerrière. Désormais Nuage de Lumière ne serait plus Nuage de Lumière, mais Fleur de Lumière. C'était un nom magnifique et qui lui allait à ravir. Elle était aussi jolie qu'une fleur. Malgré la joie présente dans la voix d'Étoile de l'Espoir, je perçus autre chose dans son regard. Un sentiment totalement différent, une lueur étrange qui dansait dans son regard. Qu'est-ce que c'était ? Je l'ignorai. Je n'allais pas tarder à le savoir, à mon grand désarroi. Une clameur se fait entendre et monte dans les gorges des Guerriers présents. Tous scandent le nouveau nom de la Guerrière. Bien que je n'y fusse pas invitée, je pris part aux clameurs et scandai à tue-tête le nouveau nom de Fleur de Lumière. Au bout d'un moment, les acclamations diminuèrent et finirent pas cesser. C'est à ce moment qu'Étoile d'Espoir avait décidée de reprendre la parole pour poursuivre la cérémonie :

« J'en appelle au Clan des Etoiles afin qu'ils se penchent sur cet apprenti qui a donné sa vie pour son clan. Il aurait mérité de vivre encore de nombreuses lunes, mais le sort en a décidé autrement. En tant que chef de clan et avec l'approbation de nos ancêtres, Nuage d'Hippocampe se nommera désormais Légende de l'Hippocampe, puisse-t-il rejoindre en paix le Clan des Etoiles. »

Hein ? Comment ! Quoi ?! Non ! Ce n'était pas possible. Je ne voulais pas ce genre de baptême pour Nuage d'Hippocampe. Je ne voulais pas de baptême funeste pour mon frère. Qu'est-ce que disait maman ? Hein ? C'était une mauvaise blague, un mauvais rêve. Cela ne pouvait pas être vrai, il était trop jeune pour être décédé. Je suis sûre qu'il était encore vivant. Je suis sûre qu'on pourrait encore jouer et partager des moments de complicité tous les deux. Lorsque mes yeux croisèrent ceux d'Étoile d'Espoir, un éclair blanc passa devant mes yeux et tout devint clair. L'attitude d'Étoile d'Espoir, le sentiment étrange qui virevoltait dans ses yeux. En un instant, je sentis mon cœur se briser en miette. Je le sentis se séparer en mille morceaux. Donc... Nuage d'Hippocampe... Légende de l'Hippocampe... Mon frère... Il était mort ? Je ne pus retenir mes larmes plus longtemps. Les Guerriers autour de moi se mirent à scander le nom de mon frère. Privé de toute voix, de toute envie de parler, je ne me joignis à eux que lorsque les acclamations prirent fins. Je tenais à lui rendre hommage. Lui, mon frère. Le seul et unique frère que j'avais eu. Il était parti trop vite. Ce n'était pas possible. Il était déjà parti ? Pourquoi ?! Une rage certaine se mêla à ma tristesse sans borne. Mes yeux coulaient, les larmes déferlaient. Folle de rage, je me levai et me bousculant tout le monde sur mon passage, j'essaye de percer la foule pour retrouver Étoile d'Espoir. Je dois lui parler. Je dois lui demander pourquoi et comment c'est arrivé. Pourquoi est-ce qu'il nous avait quittés si tôt, ce n'était pas normal... Lorsque j'arrivai au pied du promontoire, je vis Fleur de Lumière, en larmes, penchée sur le corps de son ancien Compagnon. Cette situation m'attriste davantage. J'ai perdu toute trace de bonheur dans mon corps. Je me sentis vidée. Vidée d'énergie et de bons sentiments. Je ne sentis que la rage et la tristesse qui m'emplit et prends toute la place dans mon être. J'entendis Fleur de Lumière parler à l'approche de ma mère, je ne compris pas ce qu'elle disait, j'étais encore trop loin et sourde à ce qui m'entourait. J'entendis; mais je ne compris pas et ne cherchai pas à comprendre. Je ne voulais pas entendre ce qu'elle dit. Je soufrai assez.

Je vis Nuage d'Oranger débouler. Elle avait percé la foule comme je l'avais fait auparavant. Est-ce qu'elle ressentait ce que je ressentais ? Est-ce qu'elle se sentait aussi triste et impuissante ? Est-ce qu'elle se sentait aussi mal que moi ? Peut-être même plus, même si cela me semblait impossible. Après tout, je n'étais que la sœur adoptive du défunt, elle était sa véritable soeur, par le sang. Et quelle différence pour moi ? Aucune. Elle était ma soeur et Légende de l'Hippocampe était mon frère. Je venais de perdre un frère. Je venais de perdre mon frère. Nuage d'Oranger sembla elle aussi portée des paroles à Étoile d'Espoir. Je ne compris pas pourquoi, mais Étoile d'Espoir ignora les deux femelles et perça la foule dans le sens inverse à celui que j'avais emprunté. Elle semblait ne pas m'avoir vu et semblait ne pas avoir entendu les paroles des deux femelles accablées. Du moins, elle n'avait pas daigné y répondre. Après tout, elle aussi devait souffrir comme une damnée, elle était la mère du défunt. Se devait être une déchirure immense que de perdre son fils. Il ne lui restait donc plus qu'une fille et deux filles adoptives. Quelle triste affaire. Sans plus réfléchir, je fonçai, les larmes aux yeux, vers le corps de mon frère. Je plongeai mon museau dans sa fourrure. Elle était étrangement froide. Son âme devait quitter son corps. Il devait être en train de rejoindre le Clan des Étoiles. Sans demander la permission ou quoi que ce soit, je me couchai à ses côtés et sans enlever mon museau de son doux pelage, je tentai de humer l'odeur de son pelage. Elle était éventée, mais je parvins quand même à reconnaître son parfum. Je me promis de le veiller comme un "grand" l'aurait fait. Je me promis de ne pas fermer l'œil de la nuit, pour l'accompagner. Je murmurais à son oreille :

« Adieu Légende de l'Hippocampe. Adieu mon frère. Ne t'inquiète pas, je veillerais sur maman et sur nos deux sœurs. Je veillerais à ce qu'il ne leur arrive rien. Tu peux rejoindre nos ancêtres en paix. Je t'aime Légende de l'Hippocampe... Je t'aime frérot... »