C'était une nuit fraîche, comme rarement aux abords du volcan, bien qu'assoupi. Une nuit fraîche, qui présageait la naissance d'un tout nouveau chaton au sein du Volcan : Petite Damnation. Un petit chaton qui pointa le bout de son nez lorsque la lune trônait haut dans le ciel et éclairait avec splendeur son pelage charbonneux. La mère du nouveau-né arborait un pelage gris lunaire sans aucune tâche, et de jolis yeux d'un bleu glacial. Son père était un grand matou imposant, la copie conforme de Damnation du Loup : même pelage noir et les mêmes yeux d'un or éclatant. Hélas, son père n'était pas du genre à se soucier de ses enfants, il papillonnait à droite à gauche avec la majorité des femelles du Clan. Damnation du Loup a donc passé toute son enfance en la seule présence de sa mère, et cela lui convenait parfaitement. C'était une véritable mère aimante, elle s'occupait de lui irréprochablement bien, peut-être même un peu trop. Elle aimait le voir s'épanouir sereinement au sein du Clan et imaginait un avenir ambitieux pour son fils bien-aimé, un avenir où il serait un grand guerrier loyal et sans reproches. Elle imaginait tout ça et était très éloignée de la réalité.

Damnation du Loup n'eût jamais de frère ni de sœur, mais ne s'en souciait guère. Cela ne lui posait pas de problème d'être enfant unique. Justement, il était unique. Dès son plus jeune âge, il suivit l'apprentissage pour devenir guerrier, légèrement plus tôt que ses camarades, car déjà à son jeune âge, on remarquait sa discrétion remarquable et la légèreté de ses pas qui ne produisaient aucun bruit. Lui fut attribué pour mentor un matou déjà plutôt âgé. Celui-ci lui enseigna parfaitement sa conduite pendant une année entière, une année entière où Damnation du Loup était un parfait membre du Volcan auquel on ne reprochait absolument rien, qui faisait son devoir en tant qu'apprenti, puis en tant que guerrier lorsqu'il fut nommé ainsi. Mais cela, ce n'était qu'avant qu'il la rencontre, elle. Quoi, vous vous demandez de qui je parle ? Je parle d’Évanescence des Lucioles. Une femelle aux allures angéliques que Damnation du Loup rencontra lorsqu'il avait vingt lunes. Encore jeune et inconscient. Il la rencontra lorsqu'il était parti chasser près de la frontière menant aux terres de la Jungle. C'était quelque chose qu'il aimait faire seul, il ne supportait pas de chasser avec ses camarades et il était largement plus efficace seul. Ce fut la seule fois où son cœur s'ouvrit, la première fois et la dernière fois. En effet, le jeune matou était en pleine patrouille lorsqu'il remarqua la jolie Évanescence des Lucioles. Celle-ci fut au début se promenait sans aucune gêne sur le territoire du Volcan et ne semblait même pas remarquer qu'elle avait dépassé les frontières. Lorsque Damnation du Loup menaça de l'attaquer et lui hurla avec hargne ce qu'elle faisait ici, la jeune femelle sembla indignée et prête au combat. Seulement, elle savait qu'elle n'avait aucune chance de le battre, étant beaucoup plus frêle et inexpérimentée que lui. Alors s'ensuivit une véritable dispute entre les deux chats. Ils parlèrent longuement et la tension s'apaisa, pour que Damnation du Loup, aussi naïf qu'il était à l'époque, accepta de ne rien dire sur la présence d’Évanescence des Lucioles en territoire ennemi. En contrepartie, elle lui promit ne plus jamais enfreindre les limites de son territoire. Et Damnation du Loup ne s'attendait absolument pas à cela. Pendant les longues semaines qui précédèrent son intercalation avec la belle femelle adverse, elle s’immisçait dans son esprit et il finit par penser sans arrêt à sa beauté angélique. Elle le hantait, et il essayait désespérément de s'en débarrasser. Quoi ? Il n'était pas du genre à aimer, lui. Du moins c'est ce qu'il pensait ! Mais une envie incontrôlée de la revoir, rien qu'une fois, s'installa en lui. Et il n'arrivait pas à lutter contre ce sentiment qui avait pris le contrôle de son âme.

Alors, il décida de se rendre sur le territoire de la Jungle. C'était suicidaire, réellement. Il prétendait qu'il allait patrouiller seul : on ne pouvait pas l'accuser ou douter de son absence. Il erra de longs moments, seul, sur les terres, à la recherche de la belle demoiselle qu'il désirait tant revoir. Parfois, il lui arrivait de s'arrêter net et de se demander qu'est-ce-qu'il faisait ici. Il trouvait ça stupide, pensait pendant une seconde à rebrousser chemin, puis changeait d'avis, et ce, des dizaines de fois. Puis, c'est la qu'il l'aperçut. C'était à la plage aux mirages. D'ailleurs, au début, il pensait que c'était un mirage. Mais non, elle était bel et bien réelle, faîte de chair et d'os. Lorsqu'il arrivât, elle le scruta d'abord avec méfiance, puis cette lueur de méfiance à son égard se transforma en extrême douceur. Alors, la femelle ne prît même pas la peine de le repousser, de lui hurler de s'en aller. Elle se posa, son pelage brun virevoltant au vent, et lui avoua qu'elle avait eue envie de le revoir. Je pense ne pas vous mentir en vous disant que c'est là qu'ils tombèrent amoureux l'un de l'autre. Ils parlèrent longuement, à l'abri des regards, dans un petit coin ombragé sous un palmier qui bordait l'océan agité par la brise océanique. Puis ces rendez-vous clandestins se répétèrent, encore et encore jusqu'à ne plus pouvoir les compter.

Damnation du Loup ne se posait plus cette fameuse question, il ne se demandait plus ce qu'il faisait. C'était mal, c'était enfreindre les lois, mais il s'en moquait éperdument. Il ne se préoccupait plus que d’Évanescence des Lucioles. Cette guerrière qui lui avait volé son cœur. Et même Damnation du Loup, qui se croyait incapable de ne ressentir ne serait ce qu'une étincelle d'amour, dû se rendre à l'évidence : il l'aimait, oui, il l'aimait même beaucoup. Elle hantait chacune de ses pensées, chacun de ses rêves. Lorsqu'il l'a voyait en rêve, c'est comme si tout son esprit en redemandait encore et encore. Elle était sa drogue, il ne pouvait plus vivre sans elle.

Hélas, un jour, un beau jour de printemps pourtant, les absences répétées de Damnation du Loup commençait à éveiller les soupçons de certains et on commençait à sérieusement douter de ses patrouilles en solitaire. Le beau guerrier s'était éveillé à l'aube pour aller voir sa promise. Ils s'étaient donnés rendez-vous en territoire neutre cette fois-ci, à la colline aux astres. Quel lieu de plus romantique, en plus de cela à l'aube du jour ? Alors que Damnation du Loup filait à toute vitesse, tout son corps dirigé par une puissance dans laquelle se mélangeait passion et désir, il ne le savait pas. Il ne savait pas que là, derrière lui, un guerrier. Il l'épiait, furtivement. Et ce n'était pas n'importe quel étalon. Il s'agissait de son ancien mentor, Complainte des Corbeaux. D'ailleurs, Damnation du Loup ne l'entendît pas du tout, pas un seul bruit tout le long de son trajet jusqu'à la colline aux astres. Il rejoignit Évanescence des Lucioles, affectueusement. Et là, ce fut l'horreur. Complainte des Corbeaux sortit de sa cachette et hurla tout son désarroi. Honteux, qu'un membre du Volcan côtoie une guerrière de la Jungle ! La colère du vieux guerrier fut brève et pourtant terrible, quelques minutes après qu'il les ait surpris, il s'en alla à toute vitesse dans le but de rapporter ce qu'il avait vu à son meneur. Mais c'est un élan frénétique qui força Damnation du Loup à le poursuivre à toute vitesse, le vent l'encourageant dans sa lancée. Le matou poursuivit son mentor jusqu'au bout de ses forces et finit par le rattraper. Il le plaqua violemment au sol, une force sembla s'immiscer en lui comme pour l'encourager à faire taire le vieux guerrier. Alors il lui trancha impitoyablement la gorge. Net. En une fraction de seconde. L'autre n'eût même pas le temps de souffler ses derniers mots qu'il n'était plus qu'un corps inerte, gisant sur le sol dans une marre rouge foncée. Alors, la force maléfique qui semblait s'être emparée du corps de Damnation du Loup quelques instants plus tôt s'en alla, laissant place à une âme déchiquetée par les remords et la haine. Damnation du Loup observa alors la scène avec impuissance, qu'avait t'il fait ? Il était un monstre. Comment avait t'il pu être coupable d'un tel acte de barbarie, lui qui était un guerrier d'ordinaire irréprochable et si loyal à son clan et à ses principes. Son mentor, celui qui avait toujours été là pour lui, il l'avait tué. A cause d'elle. A cause d'Évanescence des Lucioles. Il avait faiblit. Il avait aimé, il avait osé ressentir ce sentiment malsain ! Et voilà où ça l'avait conduit, à devenir un meurtrier. Un meurtrier silencieux, qui vit dans la culpabilité permanente. Car Damnation du Loup ne put rien dire. Il savait qu'il serait banni à tout jamais du Clan si quelqu'un découvrait sa trahison. Et il ne voulait pas quitter les siens. Mais cet acte la changé. Véritablement. Il n'est plus le même désormais. Autrefois attentionné, loyal, fidèle et dévoué, il n'est plus que l'ombre de lui-même, rongé par les remords, son âme noircie par les ténèbres. Voilà ce qu'il est devenu.