Allons y. Je pense que je suis prêt. Prêt à annoncer mon choix et à le faire savoir à tout le monde. Prêt à supporter ces premiers regards qui jugent mes décisions. Mais je suis sur et certain de moi. C'est la meilleure chose à faire. J'y ai pensé à chaque instant depuis la mort de Sirène, il y a quelques jours. A chaque seconde, à chacun de mes souffles, mes pensées se tournaient vers ce choix. Que faire ? Je l'ignorais. Et puis, l'évidence m'est apparu à l'esprit. Et je me suis demandé pourquoi je n'y avais pas pensé avant. C'était un peu une suite. Oui, c'est cela, c'est une sorte de continuité au passé. Une continuité doublé d'un caractère évident, je ne pouvais pas ignorer un tel appel du destin. Alors oui, je suis prêt. Prêt à annoncer quel félin j'avais choisi pour me seconder. Je suis prêt à briser les règles.

Je me lève, sort de ma tanière sombre. J'ai la sensation que mes yeux redécouvrent le soleil et que mes poumons s'emplissent d'air frais pour la première fois. Je prend une grande inspiration. J'essaie d'ignorer la douleur face à la perte de Sirène. Je tente de la laisser dans un coin de mon esprit et de mon cœur. Sans réel succès jusqu'à ce jour. Je ne sais pas vraiment comment je vais réussir à vivre sans elle mais il est clair et net que j'ai besoin de m'entourer d'amis. Et de choisir un lieutenant qui saura être un réel second. Je grimpe sur le promontoire. Les regards se tournent presque instantanément vers moi. Je n'ai pas peur. Je suis sur de moi et le premier qui osera me contredire aura à faire à moi. La situation me fait doucement rire. J'ai entendu les rumeurs. Beaucoup de rumeurs courent sur mon choix de lieutenant. Des tas de noms sont sortis. En fait, ils sont presque tous sorti. Sauf celui que j'ai choisi. C'est l'heure de la surprise, de la grande annonce.

« Chats du clan du Volcan, rassemblez vous. » Je leur laisse quelques secondes pour s'approcher et reprend mon discours, d'une voix forte et puissante. « J'ai mis quelques jours pour me décider. Les jours et les nuits ont défilés tandis que je réfléchissais et j'ai fini par faire mon choix. Mais d'abord, j'ai une petite chose à régler. Nuage de Magellan, approche toi s'il te plait. »

Je regarde mon apprenti s'approcher. Il sait ce qu'il va se passer. C'est évident. Il s'est entrainé dur et a fait ses preuves envers le clan. Les guerriers l'observent, certains avec plus d'intérêt que d'autre. Personne ne se doute de ce qu'il va se passer. Aucun n'imagine. Le coup de tonnerre va bientôt éclater.

« J'ai eu l'honneur de t'entraîner. Je fonde beaucoup d'espoir sur toi et a aucun moment, tu ne m'as déçu. Il est temps pour toi de devenir Astre de Magellan. Tu as presque 13 lunes mais tu semble être bien plus mature que cela. Tout au long de ton entraînement, j'ai découvert un allié précieux en toi. Je sais que tu sacrifierai ta vie pour ton clan et que tu es digne de lui. Tu es un atout trop précieux pour que je te laisse passer. C'est pour cette raison que je t'ai choisi. Toi. Toi, Astre de Magellan tu es à présent le lieutenant du clan du Volcan. »

C'était dit. Pour de vrai. Pour de bon. Je ne le regrette pas quand je vois la flamme qui brille au fond des yeux de ce chat. C'est un futur grand. Il aura de l'importance dans l'avenir du clan, il n'en fait aucun doute. Je sens que son destin est énorme et qu'il est étroitement lié au futur du Volcan. Il est clair que mon choix va faire des vagues. Un lieutenant aussi jeune, c'est presque un affront aux traditions. Non, C'EST un affront. Mais j'ai la parade contre cela.

« Pour ceux qui vont crier au scandale, sachez que j'ai la bénédiction du clan des Etoiles. Ils ont approuvés mon choix dans un rêve, il y a deux nuits. Ils savent que c'est le choix le plus juste. Je sais que c'est le choix le plus juste. Et vous savez que c'est le choix le plus juste.  Mon choix est fait. Acceptez le.» Je marque une courte pause, avant de reprendre. « Une dernière petite chose. Patte de Grisaille, peut tu t'approcher s'il te plait ? »

J'observe la petite boule de poil s'avancer vers moi et grimper sur le promontoire, à mes côtés. Elle ne semble ni mal à l'aise, ni trop à l'aise. Je la sens juste pleine de curiosité.

« Tu as atteint l'âge fatidique des 6 lunes. Ton entraînement va à présenter commencer. Le chemin sera long et rude pour devenir une guerrière d'exception mais je ne doute pas de tes capacités. Tu seras à présent Nuage de Grisaille et je serais ton mentor. »

Avec délicatesse, j'effleure le nez de ma nouvelle apprentie. J'ai toujours dis qu'après Magellan, je voulais m'occuper d'une petite fille. C'est chose faite.

MON RIRE PERDU DANS LA FOULE.
L'appel résonne. Je suis le mouvement. Ça, je sais bien le faire. Me fondre dans la masse. Je ne suis pas lasse de ces rassemblements, non non, mais il faut avouer que c'est tout de même répétitif... Il n'y aura rien d'extrêmement nouveau, un jeune guerrier qui ne fermera pas l'oeil de la nuit, un chaton qui va commencer à s'entraîner... Non, vraiment rien d'exceptionnel. Mais je me dirige comme tout le monde vers ce nouveau meneur. Ah, il est beau, il est jeune, il... Il n'est pas comme moi. Il a tellement de chance. Peut-être qu'il ne se rend pas compte de cette chance. C'est toujours mieux. "Sale veinard." Mais il n'y peut rien. Je ne dois pas lui en vouloir. Moi aussi, j'ai été jeune. Il me semble. C'est trop lointain. Je n'aime pas les chats qui se vantent à tout bout de champ, c'est vraiment pénible. Et là, quelques bonnes baffes se perdent ! Au moins, notre chef a le sens des responsabilités, me semble-t-il, et puis il n'a pas l'air trop arrogant. Le pouvoir ne risque pas de lui monter à la tête. Enfin. Quoique. On ne sait jamais. Tout ça pour dire que je me fiche un peu de ce qu'il va dire. C'est trop prévisible. Je suis d'accord, ces pensées ne me ressemblent guère. Mais hier soir, je n'ai pas bien dormi, alors ne me cherchez pas la petite bête ou je ne sais quoi, je ne souhaite que m'écrouler par terre. Ne plus jamais à avoir à me relever. Je tombe de fatigue. Avide de connaître le nom du futur chasseur ? Non. J'observe soigneusement le contour de mes pattes. « (...) Il est temps pour toi de devenir Astre de Magellan. (..) Tu es un atout trop précieux pour que je te laisse passer. C'est pour cette raison que je t'ai choisi. Toi. Toi, Astre de Magellan tu es à présent le lieutenant du clan du Volcan. » Je sursaute. Oui, je n'arrive pas à savoir si c'est parce que je m'endors à demi que je déforme les propos d'Étoile de la Dignité lorsqu'ils parviennent enfin à mon cerveau. Lieutenant ? A même pas quinze lunes ? Dès le baptême de guerrier ? Il plaisante j'espère ! Et demain, on me voue un culte ?! C'est ça ? « Quel humour. » Je marmonne tout bas. Je chuchote, je fredonne, je sifflote. Très très bas, je m'entends à peine. Je dois avoir l'air d'une vieille folle de remuer les lèvres ainsi. « N'importe quoi. Plus de Sirène et les apprentis deviennent lieutenants... Et l'expérience ? On va être la risée de l'île avec un pareil lieutenant... » Non, je ne suis pas jalouse ! Loin de là ! Je préfère presque confier cette tâche à ce matou plutôt qu'à moi. Je ne sais pas protéger les miens. J'en suis incapable. Et pas crédible. Je n'ai rien contre ce pauvre Astre de Magellan, rien du tout même, mais je trouve cette décision tout à fait absurde. D'ordinaire, je lui lancerais un sourire détendu. Bah oui, c'est quand même son petit moment de gloire. Mais pas maintenant. Ce choix m'échappe. Je le trouve immature, oui. Je le reconnais sans peine. Tout comme ce grand chaton qui devrait faire office de second.

Son excuse, sa parade, sa réplique me semble si faible que je manque d'éclater de rire. Mon rire perdu dans la foule. L'approbation du clan des Étoiles ne me fera pas revoir mon jugement. D'accord, j'accepte ton choix. Je suis forcée. En bonne sujette de ce royaume. Mais je n'y crois pas. Le clan des Étoiles, je ne m'y fie plus. Plus depuis une bonne vingtaine de lunes. Ce ne sont que des foutaises ! Le vieux conte qu'on gobe à la naissance, rien de plus ! Je n'ai que faire de leurs paroles. Ils laissent une telle idiotie se produire, mais n'arrêtent pas les roches du volcan ! Ah ça non ! Ce serait se montrer généreux et bienveillant. Pour qu'on continue à les prier, il faut espérer un peu mieux que ce qui nous fait subir. Par peur d'être encore frappé dans le dos. Et s'ils prévenaient la prochaine qu'un de mes proches est sur le point de se faire tuer ? Ah non, je n'ai plus de proches. Je n'ai plus rien. Ils ne freinent pas la course effrénée des blocs qui se détachent de la paroi. Ils n'empêchent pas que des crânes se fracassent sous mes yeux. Ils s'en foutent. Éperdument. Et qui suis-je, pour les contredire ? Il n'y a que moi qui souffre réellement. Les autres, ils oublient, ils sont désolés, ils nous offrent seulement de la pitié, pas de la compassion. Pas égale à la perte subite. Système pourri.

Nuage de Grisaille. C'est un joli nom. Un nom prévisible à vrai dire. Je l'aime bien cette femelle, alors je lui adresse un sourire presque éclatant. Elle avait tellement hâte de commencer son entraînement, elle m'en parlait presque tout le temps. Presque à m'en saouler. Mais je ne lui en veux pas. J'étais dans le même genre, si je me souviens bien. Je me dis que les enfants sont stupides. Être adulte, être considéré comme un adulte, comme étant responsable et consciencieux, c'est horrible. Je déteste. Aux petits on pardonne tout. Quasiment tout. On mâche tout aussi. T'es suffisamment grand, débrouille toi tout seul à partir de maintenant. Oui, d'accord, on vit en clan, on s'entraide, on s'échange, on fait attention aux autres, on... Mais ça reste du chacun pour sa truffe, si tu tombes, je t'aiderai à te relever, à condition que tu me rendes la pareille. Oui, je résonne un petit peu comme ça. Étonnant non ? Même si mon grand côté altruiste m'empêche d'agir ainsi. "Non, je ne demande rien en retour. Ce n'est pas grave." Mais ça t'empêcheras pas à filer un coup de patte quand je serai dans la gadoue. Revenons-en à Nuage de Grisaille... Elle doit être aux anges. Nouvelle génération. On se fait envahir ! Je plaisante. Je me faufile vers elle et lui dis ; « C'est un beau nom. Je suis sûre que tu deviendras une grande guerrière. » J'hésite à ajouter Avec un mentor pareil, il n'y a aucun doute là dessus ! mais je me résigne au moment où ses mots sont sur le point de franchir mes lèvres.
Ce mentor qui réfléchit à l'envers.