Six chatons naquirent de la portée de Petit Corbeau. Dur portée que sa mère, Noire Louve ne put porter à terme. Un des chatons mourut avant de naître et deux autres de la fratrie coururent rejoindre leur mère dans les cieux alors qu'il n'y avait pas assez de reine pour s'occuper d'autant de chatons, durant une si difficile période hivernale. Petit Corbeau, Petite Colombe et Petit Oiseau survécurent durant ces terribles lunes, en compagnie de bon nombre d'autres chatons. Furent-ils heureux ? J'en mettrais ma patte à couper.
Mais qui n'est pas heureux, à six lunes ?

L'histoire de ce chat est somme toute assez banale. Il eut un entraînement plus que parfait car il eut l'opportunité de devenir l'apprenti du chef. Ca en claquait quand même, nan ? Pour dire vrai, n'ayant plus de mère, le clan voulait protéger les trois petit bout le plus possible. Petite Colombe devint ainsi apprentie guérisseuse, et Petit Oiseau et Petit Corbeau obtinrent des mentors plus que doués et performants. Ce fut une des premières douleurs de Petit Corbeau. Beaucoup d'apprentis teigneux comprirent vit le manège du clan, et la jalousie leur tint longtemps compagnie dans la petite tanière. Bien vite, les ragots cessèrent lorsque Petite Colombe montra qu'elle était bien incapable de devenir une bonne guérisseuse. Elle n'avait pas la fibre, elle n'avait pas ce qu'il fallait. Elle montra aux autres combien il était dur d'avoir autant de responsabilités si jeunes, et que cette surprotection n'avait pas forcément été une bonne stratégie. Elle commenca son entraînement de guerrière à huit lunes, et ses deux frères l'épaulèrent aussi bien qu'ils le purent.

"Nuage de Corbeau ?
- Coâ ?" coassa-t-il en se réveillant difficilement. "C'est la nuit, Colombe, va te recoucher.
- Tu m'aiderais avec les positions de combat ? J'y arrive pas... Souffle d'Airin va trop vite pour moi.
- Ok, ok, j'arrive..."

Ils passèrent beaucoup de nuit à chasser, à combattre, pour aider la jolie colombe à rattraper son retard. Après leur longue période en tant qu'apprenti, Colombe fut nommée guerrière presque en même temps que ses deux frères. Son courage et son entêtement fut salué, mais aussi la bravoure et la témérité de ses deux frères, bien souvent réprimandés par leur propre mentor lorsqu'ils n'étaient pas d'attaque le matin...
Nuage du Corbeau devint ainsi Noir Corbeau, en hommage à sa mère décédée. Nuage de Colombe devint Aile de Colombe et Petit Oiseau prit pour nom Vol d'Oiseau.
Mais qu'est-il arrivé à la petite fratrie en 20 lunes, me demanderez vous ?
L'amour.
Ah, l'amour. Il y avait dans le clan une si jolie apprentie, qui devint une si belle guerrière. Nuage du Corbeau tomba sous son charme dès l'instant où elle monta sur le promontoire avec lui, le jour de la cérémonie des apprentis. Alors Petit Corbeau, il n'avait jamais rien ressenti de pareil. Quelle envolée lorsque sa queue le frôlait, par grande inadvertance.
Et quelle peine, quelle horreur, lorsque Nuage d'Amour vola aussi le coeur de son frère, Nuage d'Oiseaux.
Elle portait si bien son nom, la jolie Amour Perdu. Et au grand damn de Vol d'Oiseau, c'est Noir Corbeau qui eut les gracieuses avances de la guerrière. Fou de rage, incapable de voir l'amour naissant entre son frère et l'amour de sa vie, il décida de quitter le Clan, pour être un solitaire, pour être quelque chose d'autre peut-être, en tout cas tout pour ne pas supporter cette idylle grandissante.
Amour Perdu, si généreuse, si proche de Vol d'Oiseau même si ce n'était que par la voie de l'amitié, courrut derrière lui, voulut le rattraper.
Qu'arriva-t-il cette nuit-là ? Vol d'Oiseau, couvert de cicatrices, de honte et de boue, revint la queue entre les pattes, avec le corps de la petite chatte entre les crocs. Il la déposa au milieu du camp, pour une dernière veillée funèbre. Son pelage roux cachait les marques de lutte, mais on voyait bien qu'elle était morte douloureusement.
Il raconta - bafouilla plutôt - une vague histoire de tempête, d'arbre qui leur serait tombé dessus. Noir Corbeau vérifia ses dires : un arbre était bel et bien tombé sous les coups des éclairs redoublant d'ardeurs. Mais était-ce là une version convaincante ?
Noir Corbeau coupa toute communication avec son frère, et s'enfonca dans un  mutisme morbide. Il se soûla de travail en faisant chasse sur patrouille. Il se noya dans la fatigue et dans le désespoir.

Il paraît que le temps guérit toutes les blessures. Il paraît.
Noir Corbeau expérimenta ce proverbe pendant quelques lunes, ne pensant pas pouvoir remonter la pente. Et puis, lentement mais sûrement, la douleur fut moins sourde, moins ardente. Elle était toujours là, coincée dans son coeur, coincée dans son esprit, mais il décida d'y faire face. Ses responsabilités au clan s'accrurent et il profita de sa "promotion" au poste de lieutenant pour essayer de sortir de ce guêpier qu'il s'était lui-même tendu.