J’ai vomi mon cœur. De la pire façon que ce soit. D’abord il y a eut les spasmes. Horribles. Interminables. Tordant mon corps en des positions des plus pitoyables. J’ai senti la bile dans ma gorge. Amère. J’ai senti la douleur. J’ai senti la peur. J’ai vomi mon cœur. Lentement il est remonté, d’abord dans mon ventre, se cognant contre mes organes, saignant à gros bouillons à l’intérieur de mon être décharné. Puis je l’ai senti se frayer un chemin dans mon estomac pour finalement remonter par ma gorge. Je manquais d’air. Mon esprit se faisait flou. J’entendais, plus que jamais les voix s’adresser à moi d’un ton sans appel. J’étouffais.

«  Je t’entends gémir Sourire Caméléon.  »

J’ai vomi mon cœur. C’était moche. C’était sale. J’ai senti ma respiration s’accélérer, mon esprit s’emballer lorsqu’il réalisa qu’il n’avait plus les rênes de mon corps, que c’était une force, bien plus forte, bien plus malsaine qui était en œuvre. Mes yeux se révulsèrent lorsque la maladie s’insinua un peu plus en moi, plus loin, infiltrant chaque infime partie de bonté, distribuant sa petite touche de folie à chaque coin de mon cerveau, impuissant face à elle. Ma bouche s’ouvrit pour crier. Silence. Aucun son ne sortit.

«  Je t’entends supplier Sourire Caméléon. »

J’ai vomi mon cœur. Il fit un bruit de succion lorsqu’il toucha le sol. Lentement il fut prit de soubresauts. Répandant autour de lui une mare pourpre, écarlate, tandis qu’il se vidait de tout sentiments. Déjà, je respirais avec plus de facilité. Lançant un regard assassin au petit tas de chair qui se tordait au sol. C’était lui. C’était sa faute. Les sentiments, qui pendant des années m’avaient réduit à cet être incapable d’agir, opprimé par ces voix. Incapable.
Mais les voix avaient raison. Depuis le début. Il fallait jouer, oser, manipuler, pourquoi pas tuer, il fallait dominer sans pour autant s’imposer. Il fallait jouer le petit être juste et droit et au moment où tout le monde aurait le dos tourné frapper en traître, les éliminant tous d’un coup. Il fallait écouter les voix.
Je levais une patte sertie de griffe et écrasa le cœur qui émit comme un petit cri lorsqu’il mourut. Un sourire éclaira mon visage.
J’ai vomi mon cœur. Et c’était bien.

«  Je t’entends mourir Sourire Caméléon. »

( . . . )

Il cligna des yeux.
Face à lui son reflet.
Le lac.
Sourire Caméléon tenta de se souvenir. Le vide. Il ne savait plus comment il était arrivé là. Cependant il savait où il se trouvait. En terres neutres, heureusement pour lui. Sûrement était – il parti le matin après un réveil dur et une patrouille matinale. Sûrement. Il réprima un ricanement. Ce genre de choses lui arrivait fréquemment en ce moment. Et ces moments d’amnésie l’agaçait fortement. Habituellement il n’était pas du genre à être tête en l’air, rêveur ou quoique ce soit d’autre.
Il leva la tête sur le ciel bleuté partiellement nuageux. On devait être en début, voir milieu, d’après – midi, autrement dit assez tard dans la journée, et, ne sachant pas depuis combien de temps il se trouvait près de l’étendue aqueuse son absence pourrait certainement paraître douteuse aux yeux de son Clan.

« Pff. Imbécile. »

Gronda t –il. Autant pour lui-même que pour les autres. Il était las.
Le siamois baissa la tête vers l’eau au bord de laquelle il était élégamment assis, la queue enroulée autour de ses longues pattes. Il tenta un pâle sourire à son reflet. Ses sourires. Pour lesquels il était réputé.
L’image que le miroir fait de remous lui renvoya semblait déformée : faite d’un semblant de deux visages félins, flous, l’un semblait sourire tandis que l’autre avait cette étrange mimique  aux lèvres, presque méchante.
Sourire Caméléon observa longuement son reflet, comme fasciné par l’image que ce dernier lui renvoyait.
Et un sourire, tout nouveau, étira ses lèvres en un rictus froid, glaciaire, les pupilles allumées d’un éclat polaire que l’on ne lui avait jamais vu auparavant.

J’ai vomi mon cœur. Et c’est bien mieux ainsi.