HISTOIRE

I. Ou comment la vie ne peut tenir qu'à un fil...

« C'est que les gens sont parfois si pleins de bonnes attentions, qu'ils en font trop, et qu'ils finissent par mourir. »

Pour faire des chatons, il faut un mâle et une femelle. Parfois une dose d'amour en plus, c'est bien, mais parfois on y peut rien, y'a pas l'étincelle. Enfin, y'avait l'étincelle du côté de ma mère, mais pas de mon père. Heureusement, parce que je ne sais pas ce que je serais devenue si ça n'avait pas été le cas. Je vous parle aujourd'hui de mon histoire en connaissance de causes (ou presque), avec toutes les informations possibles entre les griffes, espérant rien n'omettre de ma maigre petite vie. Faut se rendre à l'évidence, six lunes, c'est rien, c'est une poignée de secondes, c'est deux pommes de pin tombées d'un arbre. C'est rien comparé à ce que Aube d'Hiver, ma mère, a pu vivre. Elle a vécu longtemps, la mère. Je crois qu'elle avait soixante lunes quand elle m'a eue. Ca fait quoi, trois longs hivers ? C'est long, ça. Enfin, c'est long pour moi, mais qu'est-ce que trois longs hivers dans un brasier de vie hein, dites moi ?
Aube d'Hiver côtoyait Pelage de Poussière depuis quelques lunes lorsqu'elle remarqua qu'elle avait une polichinelle dans le tiroir. Elle décida d'en parler à son compagnon ; celui-ci ne voulait pas particulièrement de petits chatons courant tout autour de lui, mais après tout, ce n'était qu'un sacrifice à faire pour leur relation.
Enfin, ça, c'était le point de vue de ma mère... J'ai rien en particulier contre les mâles hein, mais quand je vois le dégonflé qu'était mon père, j'ai pas trop confiance en l'avenir.
Et ce fut tout.
Je sais de source sûre qu'après cette discussion, il partit chasser.
Et il ne revint jamais.
(Apparemment ce fut une rencontre mortelle avec un prédateur...Mais qui sait, peut-être que la responsabilité était trop lourde et qu'elle a fini par l'écraser.)

II. Ou comment avoir six lunes et ne toujours rien connaître à la vie...

« Après, entre ce que les gens disent et ce qui est vrai, le fossé peut être tellement profond que l'on remarque à quel point l'imagination est fertile. »

Après, nous naquîmes.
Nous : Petite Feuille et Petite Pierre.
Un mâle, une femelle. Un aussi noir que la nuit, l'autre aussi blanc que le jour. C'était amusant de voir ce contraste. Enfin, le voir... Je le vis que très peu, puisque Petite Pierre est mort il y a de cela quelques mois. Nous sommes à la Saison des Feuilles Nouvelles maintenant, c'est bien, c'est beau, c'est propre ; fait chaud, y'a à manger. Mais durant la Saison du Gel, bin le pauvre Petite Pierre y est passé. Mangé par le grand méchant loup, apparemment. Pas assez de lait pour nous deux ; je grignotais déjà de la viande, pas lui. Et puis, il avait une malformation de la patte droite, il pouvait pas courir, c'était triste.
C'est triste.
Je pense souvent à Petite Pierre parce que c'était mon compagnon de jeu, mon compagnon d'infortune, mon compagnon de tout. Un frère et une sœur, c'est tout ce qu'il y a de plus fort, et de plus beau aussi.
Enfin, ça c'est ce qu'on dit après.
Avant, c'est toujours chamaillerie sur chamaillerie, sans même se soucier si un jour la vie de l'autre sera écourtée ou non.

III. Ou comment commencer correctement l'apprentissage d'un savoir vivre.

« C'est con comme expression "savoir vivre". Je sais vivre. Je respire, je bois, je mange. »

Voilà. J'en suis arrivée là. Six lunes et toujours pas un grain de connaissance dans la caboche. Mais ça va bien se passer. Aube d'Hiver va redevenir une belle guerrière et je vais devenir une fière apprentie.
C'est comme ça que ça se passe normalement, non ?