Il fait nuit. Depuis plusieurs heures déjà le ciel s’est voilé d’un drap noir parsemé de petites étoiles pétillantes. Il n’y a pas un nuage à l’horizon. La lune, gros astre étincelant, comme un fantôme rond, éclaire le paysage d’une lumière blafarde et pâle. Cette dernière se reflète sur mon pelage brun, me donnant un air fantomatique, comme si j’étais un simple mort-vivant que personne ne peut voir. Errant seul au milieu des chats endormis, cherchant la paix. Ce n’est qu’une image. Une simple représentation que mon esprit se fait de ce moment précis. Je suis vivant, bien évidemment. Je ne recherche pas non plus de paix intérieure. La spiritualité n’est pas mon but en cette douce nuit d’été.  J’ai une raison beaucoup plus importante qui me tient éveillé. Je prépare ça depuis quelques jours déjà. C’est une idée qui m’est venue avec mon premier apprenti et je voulais continuer à la réaliser. C’est un bon exercice selon moi.  Sans faire le moindre bruit, je pénètre dans la tanière des novices. Je n’ai aucun mal à repérer mon apprenti, avec son pelage blanc. Il est profondément endormi près de Nuage de Tempête, son frère. Tout les deux, ce sont les plus imposants apprentis de tout le clan. Ils deviendront sûrement des guerriers impressionnants. Avec douceur, je donne un petit coup de nez dans le flanc tout chaud du chaton.

« Réveille toi Magellan. On va faire un petit tour. »

Nuage de Magellan n’est pas mon premier apprenti. Ni mon dernier. Pourtant, il y a quelque chose de spécial avec lui. Je ne saurais certainement pas vous décrire avec justesse mon sentiment mais c’est un peu comme si l’accompagner dans son cheminement jusqu’au stade de guerrier était une mission, un devoir envers le clan des Etoiles. Intérieurement, une petite voix me murmurait que le destin du félin blanc était phénoménal. Futur chef ? Futur sauveur ? Futur héros ? Impossible à déterminer maintenant. Mais je la voyais. Je voyais la même petite flamme que Sirène avait vue chez moi. Je la voyais bruler à travers les yeux de Magellan. En croisant le regard fatigué du jeune chat, je lui souris et lui intima de me suivre en silence.
Toujours sans bruit, nous sortons du camp. Sans une parole, nous parcourons les territoires de notre clan. La lune est toute en haut du ciel. Elle veille sur nous. Je lève souvent les yeux vers le ciel, pour me diriger grâce aux étoiles. Je prend également de grandes inspirations. Pour vérifier que personne ne s’est introduit sur nos terres. Magellan est derrière moi. Le pauvre, il doit se demander ce que je lui veux, à une heure pareil. Nous sommes arrivés à destination. Je m’assois, face à lui, le regard déterminé. D’une voix tranquille, je lui explique la raison de notre venue ici.

« La plaine aride est un endroit qui regorge de petits rongeurs. Le jour, ils sortent pour essayer de trouver à manger. De plus, en pleine journée, le soleil tape trop fort pour que l’on puisse rester chasser ici longtemps. » Je marque une pause. Je suis presque certain qu’il a déjà compris. Il a l’esprit vif. « La nuit, les petites bêtes rentrent dans leur terrier pour dormir. C’est à ce moment là qu’ils sont le plus vulnérables. Le soleil n’étant pas là, nous pouvons donc traquer ces terriers et débusquer les proies qui sont dedans. Crois moi, près de la moitié des rongeurs de la réserve de gibier ont été attrapés la nuit. »

Nuage de Magellan a compris. Je le vois dans ses yeux, dans son comportement, dans sa façon de paraître tout éveillé maintenant. Je savais bien qu'il saisirait vite la raison de notre venue. Ce petit est loin d'être bête et je veux lui donner absolument tout les éléments pour réussir à devenir un grand guerrier, tout comme Sirène l'a fait avec moi. Une petite brise fraiche s'engouffre entre mes poils bruns. Je dis bruns mais là, au milieu de la nuit, avec pour seule lumière, la pâleur lunaire, ma couleur n'est plus vraiment respecté. Peu de teintes sont semblable la nuit et le joue. J'ai beau réfléchir, je n'en trouve même aucune. Si, peut être le blanc ? En pleine nuit, tout le paysage ne devient qu'un mélange étrange de différents tons de gris : des plus clairs, des plus foncés. Tout se ternit. Sauf le blanc, encore une fois. A la lueur de la lune, on pourrait même croire qu'il s'illumine, qu'il étincelle. J'aime la nuit. J'aime le fait que les couleurs changent : qu'une feuille verte en plein soleil devienne grise, comme une ardoise. J'aime le fait que peu de gens se promènent une fois le crépuscule passé. J'aime le fait que la plaine aride devienne un terrain de chasse.

« Génial. Comment on fait pour trouver leurs terriers ? Il y a une technique ou… ? »

Mon apprenti est totalement réveillé maintenant. Il a abandonné son sommeil derrière lui et fait preuve d'intérêt. Il a raison. Ce que nous apprenons là, ce ne sont pas juste quelques techniques pour faire le beau devant les amis. Non, c'est l'avenir du clan que nous mettons entre les pattes de nos novices. Nous devons, nous les mentors, leur apprendre à se battre au cas où une guerre éclate. Leur apprendre à chasser pour nourrir leurs pairs. Leur apprendre à vivre pour faire vivre le clan du Volcan. L'apprentissage est certainement le passage le plus important de toute une vie. C'est là que tout se forge et que tout se construit. Là que tout se joue. Ah et je m'égare dans mes pensées de grandeur. Je ferais mieux de me laisser porter par l'instant présent même si tout est lié : mes pensées, le présent, le passé et le futur. Je me demande si, plus tard, je serais un de ces anciens tout rabougris, qui philosophe sur le passé en assurant que c'était mieux avant. Je n'espère pas mais alors pas du tout.

« Il faut utiliser son nez pour repérer les derniers passages des rongeurs. Tu suis, tu suis jusqu'à ce que tu tombes sur un trou. La plupart du temps, c'est tout petit l'entrée d'un terrier, plus petit que ta patte ! Tes yeux doivent être grand ouvert pour ne pas les louper. Une fois que tu en as un, de trou, tu creuses. Vite. Le rongeur va être paniqué, va vouloir sortir et tomber pile entre tes pattes. »

Je marque ma dernière phrase d'un clin d'oeil. Et je pars illustrer mes propos. Le nez contre le sol, je cherche. De nombreuses odeurs se croisent et s'entrecroisent. Des odeurs de chats. Il me semble percevoir, en arrière plan, des senteurs de clan étrangers. Je fronce les sourcils. Ce n'est pas le moment. Ah ! Enfin une odeur de rongeur. En position de chasse, j'avance à pas lents, suivant le chemin que m'offre mon nez. Jusqu'au trou. L'entrée du terrier. Il suffit de mettre son nez dedans pour vérifier que l'on est au bon endroit : ça sent bon la viande fraiche. Je me met à creuser, avec vivacité. L'animal pousse des petits cris aigus, sort de sa cachette et je l'achève d'un coup de dent. Mon regard se pose sur Magellan.

« Il faut rester en position de chasse au début, même si tu ne vois pas ta proie. Si tu te déplace comme un éléphant, tu vas les faire fuir. A ton tour maintenant ! » dis je, enjoué.

« C'est parti alors ! »

D'un œil attentif, presque paternel, j'observe le jeune apprenti qui s'élance pour réaliser l'exercice. J'aime son enthousiasme, son envie de faire parti de l'action. Il ne rechigne pas à la tâche, même quand je le réveille en pleine nuit pour chasser des souris au milieu d'un désert. Il est volontaire, même si il râle parfois un peu. Je ne doute pas de sa future importance pour le clan. Il a tellement grandi depuis que Sirène me l'a attribué. Il a forci, s'est assagi. Il devient un guerrier, un chasseur redoutable. Un jour, je pourrais le considérer comme un égal, comme un frère, et non plus comme un novice. Malgré que cette idée me plaise, j'ai du mal à m'imaginer avoir un autre apprenti après lui. C'est toujours compliqué de se « séparer » de quelqu'un avec qui on a passé autant de temps pendant 6 lunes. Il faut réapprendre à vivre sans lui, à reconstruire une nouvelle routine. Puis, quand on devient à nouveau mentor, il faut trouver une nouvelle ligne de conduite. Ce n'est jamais pareil. Je me verrais bien avec une petite femelle toute douce ensuite. Mais je doute qu'un chat avec ce genre de personnalité me revienne. Le chef et le lieutenant s'occupe souvent des chatons avec un grand potentiel, comme Magellan et son frère.

Le ventre de mon apprenti effleure à peine le sol. Il renifle avec attention, traquant la douce odeur de la nourriture. Une fois qu'il sait vers où se diriger, il avance. Sans faire de bruit, de façon très discrète. Face au terrier, il se met à creuser avec vivacité. Quand, soudain, le petit rongeur qui se cache là, lui bondit à la figure. J'observe sa réaction, un petit sourire sur les lèvres. Le jeune matou ne se laisse pas démonter et réagit presque immédiatement. D'un coup de patte habile, il attrape la bestiole et la tue. Je le regarde s'approcher, le sourire aux lèvres et le regard plein de fierté.

« Il a failli m’échapper lui ! *pause* Je m’attendais pas à ce qu’il sorte si vite en fait … »

Nuage de Magellan est capable de s'auto évaluer et ne cherche pas à cacher ses erreurs. C'est également une de ses qualités. C'est une très bonne qualité d'ailleurs. Personne ne peut progresser en refoulant ses erreurs. Je suis plutôt fier de lui et ne vais pas me retenir pour le lui dire.

« C'est très bien. Je ne t'avais pas prévenu que la proie pouvait être très vive parce que je voulais voir comment tu réagissais face à quelque chose d'imprévu. Ta réaction est très bonne. Tu semble réfléchir très vite pour trouver une solution à ton problème. C'est du bon boulot. »

Je marque une pause, observe le ciel furtivement quelques secondes. Il fait plutôt clair et je ne me vois pas le ramener au camp maintenant. Le réveiller juste pour une petite demi heure, c'est trop injuste. Et puis il semble bien réveillé maintenant. Pourquoi ne pas continuer ?

«  Je te propose un petit entraînement de combat. Puis, nous récupérerons encore quelques souris et nous rentrerons. Je te dispenserai de patrouille pour que tu puisse te reposer un peu. »